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Les musées industriels et d'art industriel en Suisse

Dernière mise à jour : 22 juin 2020

La naissance d’un nouveau type de musée


Afin de comprendre les raisons qui favorisé l’ouverture des écoles d’art appliqué et la création des musées industriels et d’art industriel en Suisse, il faut se replacer dans le contexte international du milieu du XIXe siècle. La première Exposition universelle de Londres de 1851, en exposant les productions artisanales et industrielles du monde entier, va jouer un rôle très important de catalyseur dans le débat sur les arts industriels en Europe. Les notions de « bon goût » et de qualité des objets sont discutées, la plupart de visiteurs déplorant leur surcharge ornementale et la médiocre qualité de leur exécution. Dans les années qui suivent l’Exposition, l’Angleterre saisit l’importance de la formation artistique de ses artisans et fonde, sous la houlette d’Henry Cole, plusieurs écoles industrielles et en 1857 le South Kensington Museum, qui deviendra ensuite le Victoria and Albert Museum. En rassemblant à la fois une collection d’objets, mais également une collection de brevets, une école d’art, une bibliothèque et des collections pédagogiques, il marque la naissance d’un nouveau type de musée qui essaimera à travers l’Europe.


Ill. 1. Gewerbemuseum de Winterthour. Licence CC.


Au milieu du XIXe siècle, la Suisse est alors un tout jeune État fédéral moderne qui ne connaît pas encore de politique culturelle nationale. Le premier Musée industriel de Suisse est inauguré à Lausanne, en 1862, dans un bâtiment construit expressément pour cet usage, seulement cinq ans après le South Kensington Museum. Ce sont des privés, Catherine de Rumine, princesse russe, et Charles-Théophile Gaudin, paléontologue et précepteur de son fils, qui eurent l’idée de rassembler des collections visant à montrer la richesse du savoir-faire humain et de les exposer selon leurs matières premières principales, du stade intermédiaire de fabrication au produit fini. C’est un cas un peu particulier, puisqu’à l’origine, il n’était pas lié à une école ni orienté vers l’enseignement. Sept ans plus tard, le Canton de Berne ouvre la Muster- und Modellsammlung qui va vite être renommé Kantonales Gewerbemuseum. Mais c’est la Suisse centrale, où l’industrie est déjà bien développée, qui connaît un véritable élan de création de musées industriels. De nombreuses discussions ont lieu entre le Canton de Zurich et la Ville de Winterthour, qui en fait partie, quant au choix de l’emplacement du futur musée industriel, afin de doter toute la région d’une seule institution. Les négociations n’aboutissent pas et l’on assiste à la création de deux musées en 1875 : le Kunstgewerbemuseum à Zurich, intimement lié à la Kunstgewerbeschule, et le Gewerbemuseum à Winterthour (ill. 1). Par la suite, après avoir trouvé un compromis, une commission centrale des deux Musées est créée, afin de grouper les forces d’activités et d’influence. Trois ans plus tard, en 1878, les Gewerbemuseen de Saint-Gall et de Bâle ouvrent leurs portes. À Saint-Gall, les collections, qui existaient déjà au sein de l’école de dessin, sont spécialisées dans le domaine du textile et plus particulièrement de la broderie, tandis qu’à Bâle, les collections sont exposées dans le même bâtiment que le Musée du Moyen Âge, dans un esprit très Arts and Crafts. À partir de 1886, le consortium des musées de Zurich et de Winterthour s’étend à ceux de Saint-Gall, de Bâle et de Berne. Cette association, à notre connaissance unique en Europe à cette époque, permet aux différents musées d’être en relation directe, de se prêter des objets et d’organiser des expositions itinérantes.


Ill. 2. Anonymes, Boîtes de montres, 1906, © CAI, Collection d’arts industriels de l’École d’arts appliqués, Ville de La Chaux-de-Fonds.


En Suisse romande, l’École d’arts appliqués à l’industrie de La Chaux-de-Fonds se dote en 1885, quinze ans après sa création, d’un Musée d’art industriel (ill. 2). Comme l’école formait essentiellement des artisans pour l’industrie horlogère, les collections étaient naturellement centrées autour des arts des métaux. La même année à Genève, un Musée des arts décoratifs est fondé au sein même de l’École d’horlogerie. Fribourg, très faiblement industrialisée, n’abordera qu’en 1888 la question de la création d’un Musée cantonal spécialisé. Deux autres villes, Aarau et Sion, sont dans le même cas que Fribourg et inaugurent tardivement l’une, en 1895, un Gewerbemuseum, et l’autre, en 1907, un Musée industriel.



Ill. 3. Anonyme, Peigne en ivoire, ivoire, or et émail, Inde,1827-1858, AA.1358.musée industriel, © Musée historique Lausanne, photo Atelier numérique de la ville de Lausanne.


Ces musées collectionnaient essentiellement des objets d’art appliqué (ill. 3), aussi bien des originaux que des copies, du mobilier, de la verrerie, des céramiques, des objets en métal, en bois et en tissus, mais également des matières premières, des machines (machines à vapeur, à tisser et à broder) et des échantillons (ill. 4). Ces collections de modèles, constituées d’objets reflétant des techniques ou des styles variés, devaient éduquer le goût des artisans et améliorer leurs capacités manuelles, tout en renouvelant leurs sources d’inspiration. Les enjeux économiques étaient donc intimement liés aux missions d’éducation et de diffusion des savoirs.


Ill. 4. Photographie de la première page du Catalogue des objets faisant partie de la Collection du Musée industriel de Lausanne, AVL, G, RMI, 32/2/1, © Archives de la Ville de Lausanne, photographie d'Alexandre Almiral.


Dans une majorité de cas, les musées industriels prenaient place directement dans les locaux des écoles. Par ailleurs, ces bâtiments abritaient souvent une bibliothèque, une salle de lecture, et parfois une collection de brevets et de dessins, ainsi qu’un bureau de renseignements industriels. Ce n’est qu’à partir de 1884 que la Confédération commence à se préoccuper de la question de la formation des artisans et qu’un Arrêté fédéral vient aider financièrement les écoles et les musées déjà existants par des subventions. Les écoles d’art appliqué et les musées industriels joueront un rôle important dans la réforme du style puisque c’est en leur sein que naîtront certains mouvements comme le style Sapin à La Chaux-de-Fonds et les associations de l’Œuvre et du Schweizerischer Werkund.


Isaline Deléderray-Oguey



Pour en savoir plus

Deléderray-Oguey, Isaline, « Les collections du Musée industriel de Lausanne (1862-1909) : de leur cohérence initiale à leur démantèlement », Revue PatrimoineS. Collections cantonales vaudoises, 2020 (à paraître).


Deléderray-Oguey, Isaline, « Les musées industriels et d’art industriel en Suisse, acteurs et témoins de la seconde réforme des arts appliqués », in Rossella Froissart et Aziza Gril Mariotte (dir.), Les arts décoratifs au musée. Instruction, collection et patrimonialisation, Turnhout, Brepols, 2020 (à paraître).


Deléderray-Oguey, Isaline, « Les musées industriels en Suisse et le Conservatoire national des arts et métiers de Paris, un modèle parmi d’autres ? », Cahiers d'histoire du Cnam, Dossier « Les musées scientifiques et techniques innovent : nouvelles expériences, nouvelles médiations », vol. 5, 2016/1, pp. 73-91 [en ligne].


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