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Fontaine et bassin couvert

Dernière mise à jour : 22 juin 2020

Une création personnelle et innovante d'inspiration orientale


Ill. 1. Jacques Mayor, fontaine (54x34x26,5 cm) et bassin (41x14,5 cm), 1885 © Musée Ariana, n° inventaire AR8116. Photographie de Mauro Magniali et Barbara Piovan.


Il s’agit d’une fontaine qui, par son aspect inhabituel, attire le regard sur sa forme, ses motifs et significations. Aujourd’hui conservée au Musée Ariana, elle a été réalisée par Jacques Mayor (1865-1929) au sein de l’École municipale d’art de Genève dans un contexte de volonté de renouvellement des formes et motifs décoratifs (ill. 1 et 2).

Ill. 2. Signature de l'artiste, date et lieu de fabrication de la fontaine. © Musée Ariana, n° inventaire AR8116. Photographie de Amel Ducret Kouider.


Dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle, les pays européens, en proie à un ralentissement économique, cherchent à améliorer la qualité et la compétitivité de leurs productions industrielles en s’inspirant notamment des modèles islamiques, qui de par leur décors stylisés et géométriques s’adaptent plus facilement aux systèmes de production industrielle. Au Royaume-Uni, le plus ardent défenseur des arts de l’Islam est l’architecte Owen Jones (1809-1874) qui publie en 1856 sa Grammaire de l’ornement. Pour lui, les motifs islamiques expriment la rigueur à partir d’un nombre minimal de formes élémentaires. En France, Jules Bourgoin (1838-1908) s’approprie les ornements de l’Islam et publie les Arts arabes (1868-1873). Lors de leurs voyages au sud de l’Europe, puis en Afrique du Nord ou dans la péninsule arabique, régions désignées sous la notion d’Orient, les architectes avaient découvert la richesse mais aussi la rigueur conceptuelle des constructions et ornements islamiques, faisant naître l’idée d’une unité esthétique propre aux arts de l’Islam. De retour en Europe, des personnages comme Pascal Coste, Owen Jones, Albert Lenoir ou Léon Parvillée publient le résultat de leurs recherches dans des ouvrages richement illustrés. Ces connaissances sont reprises par les artisans et décorateurs comme le céramiste Théodore Deck (1823-1891), dont le Musée de l’Ariana possède plusieurs pièces ou dans cet exemple de Jacques Mayor.

Ill. 3. Le couvercle de la fontaine avec prise métallique en cabochon © Musée Ariana, n° inventaire AR8116. Photographie de Amel Ducret Kouider.


Cette oeuvre, qui ne s’inspire d’aucun modèle précis, dénote une appropriation assez libre des motifs architecturaux et ornementaux islamiques. Le couvercle est bombé, sa prise métallique épouse une forme de demi-étoile et croissant de lune en cabochon au sommet. Le dessus est orné d’une étoile à huit branches cernant des rinceaux et les bords du couvercle contiennent des losanges qui alternent une lune et une étoile (ill. 3). Sa structure évoque l’architecture islamique (toits de hammam, mosquées) dont plusieurs exemples étaient visibles aux expositions universelles.


La partie intermédiaire, la paroi de la fontaine, présente un premier niveau d’entrelacs, de rinceaux, d'e calligraphie arabe et d’ornements floraux qui se rétrécit au niveau inférieur, dont les formes rappellent des muqarnas, comme celles du Palais de l’Alhambra à Grenade (ill. 4).

Ill. 4. Détail de la partie inférieure de la fontaine © Musée Ariana, n° inventaire AR8116. Photographie de Amel Ducret Kouider.


Sur la paroi externe du bassin, trois médaillons lisibles renferment le nom de trois califes : Abû Bakr, Omar et Othmân, un large cartouche calligraphié en arabe reste illisible, nouveau témoignage de l’emprunt purement subjectif de l’Orient, y compris à travers la calligraphie, dans un but ornemental. Au dos du bassin, quatre fleurs stylisées avec des palmes sur fond bleu relèvent du style Iznik. Dans le fond du bassin, une ronde de poissons et de crustacées dénote d’un trait plus libre faisant penser aux œuvres futures de Matisse.


Malgré les différents styles relevés sur la faïence, on constate une uniformité de couleurs. Les couleurs rouge, bleu et jaune sont déclinées en nuances de la plus claire à la plus foncée sur l’ensemble. Entre le bleu et le vert, la couleur turquoise se retrouve sur la garniture de carreaux formant une niche chantournée, devant laquelle est présentée l’objet.

Cette œuvre artistique et utilitaire particulière ne montre pas une uniformité de style, mais plutôt un mélange d’ornementation. Si par les matériaux utilisés, et les nouvelles techniques de cuisson des industries du XIXe, elle revêt un caractère industriel, elle prend néanmoins un caractère artisanal par son aspect ornemental au langage éclectique. Elle offre un mélange savant de formes (végétale, islamique, architecturale) et de motifs empruntés au vocabulaire islamique, pour aboutir à une création personnelle et innovante.


Amel Ducret Kouider


Bibliographie


Gronier, Caroline, « Léon Parvillée : dialogue entre architecture et arts décoratifs », Livraisons de l'histoire de l'architecture, 17, 2009, pp. 95-106, [en ligne] (consulté le 20/05/2020).


Labrusse, Rémi, « Face au chaos: grammaires de l’ornement » Perspectives, actualité de l’histoire de l’art, 1, 2010, pp. 97-121.


Oulebsir, Nabila et Volait, Mercedes (dir.). L’Orientalisme architectural entre imaginaires et savoirs. Nouvelle édition [en ligne]. Paris, Publications de l’Institut national d’histoire de l’art, 2009 (consulté le 3/05/2020).


Schumacher, Anne-Claire (dir.), Terres d'Islam : les collections de céramique moyen orientale du Musée Ariana à Genève, cat. exp. (Genève, Musée Ariana, 28 février - 31 août 2014), Genève, Musée Ariana et Milan: 5 Continents, 2014.


Thibault, Estelle. La science du style face au marché du monde: Les leçons de l’Exposition universelle de 1851. Science, Industrie et Art, Infolio, 2012, pp.7-51 [en ligne] (consulté le 10/05/2020).

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