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Les deux albums de l’École spéciale d’art appliqué à l’industrie

Dernière mise à jour : 22 juin 2020

Un précieux témoignage de la production des élèves de l'école municipale d'art appliqué de Genève.


Les deux albums de l’École spéciale d’art appliqué à l’industrie de Genève rassemblent cent travaux de soixante-six élèves, réalisés depuis le début de l’école en 1869. Les projets sont présentés sous forme de dessins reproduits en phototypies. La première série est achevée en 1888, la seconde en 1895. Les deux albums ne fournissent que très peu d’information sur les projets. Seul le type d’objet, parfois le style, et finalement l’auteur-rice sont mentionnés. Des dates accompagnent parfois les signatures des élèves.


Ill. 1. Emile Geneux, Composition d’après la plante, dessin reproduit en phototypie, dans vol. 1 (1869-1888). Bibliothèque d'art et d'archéologie, Genève. Photographie de Christelle Gaist.


Les projets des deux ouvrages sont dirigés par les professeurs John Benoît-Muzy (1815-1897) et Henri Silvestre (1842-1900). Silvestre était un peintre de décors de théâtre et de paysages urbains et un photographe. Il a vécu plusieurs années à Paris et Bruxelles (JDG 1900, 3). Quant à Muzy, il était graveur et pratiquait le dessin industriel avec une grande habileté et une grande entente de la composition (JDG 1897, 2). Le contenu des deux albums représente la première période de l’École spéciale d’art appliqué à l’industrie et donne une idée des directions prises par l’institution.


Sur les cent projets des deux albums, il y a quarante objets différents. Un vaste échantillon est présenté: de la pièce entière aux compositions diverses, panneaux ornementaux, bijoux et plus petits objets comme des flacons de parfum ou des éventails. La joaillerie est très présente dans les albums. Treize planches sur cent sont ainsi dédiées à des parures et à des demi-parures. Ce nombre élevé pourrait être expliqué par le fait que L’École spéciale d’art appliqué à l’industrie recevait des financements ponctuels de certains producteurs liés à la Fabrique. D’autres industries telles que la ferronnerie et la céramique se développaient en parallèle.



Ill. 2 Isabelle Jaermann, Coffret égyptien, dessin reproduit en phototypie, dans vol. 2 (1888-1895). Bibliothèque d'art et d'archéologie, Genève. Photographie de Christelle Gaist.



Concernant les styles des objets, la tendance japonisante de la fin du dix-neuvième siècle est absente des compositions des albums, marquant un décalage avec le reste de l’Europe. Il n’y a pas non plus de vraie tentative de formulation d’un style suisse. Dans cette école, les élèves la possibilité d’étudier les styles et comment ceux-ci s’appliquent aux différentes industries (Vachon 1886, 6). Les albums présentent treize inspirations ou styles différents: végétal, arabe, égyptien, mauresque, grec, romain, médiéval, Renaissance, Louis XIV, Louis XV, Louis XVI, moderne, fantaisie. Trois tendances se démarquent très nettement.


Premièrement, un quart des objets est d’inspiration végétale. L’école, alors située dans les bâtiments du Grütli, devait bénéficier d’un accès privilégié au très riche réservoir d’espèces des jardins botaniques des Bastions, créés en 1816 par Augustin Pyrame de Candolle (Sigrist 2008, 343). En outre, le premier album rassemble une dizaine de compositions d’après les plantes (ill. 1), effectuées selon la méthode du français Victor Ruprich-Robert (1820-1887), architecte et professeur à l’école nationale et spéciale de dessin à Paris. Celle-ci est présentée dans son ouvrage intitulé Flore ornementale (1866-1876). Elle consiste à tirer de la plante une idée d’ornement à travers l’étude détaillée de sa structure (JDG 1871, 3). La plante est dessinée avec un effet tridimensionnel et la composition joue sur l’effet de symétrie. L’influence française sur l’école se fait ressentir au niveau des origines et des parcours des professeurs mais également dans le programme des cours.


Puis, un autre quart des objets est d’inspiration orientale et plus spécifiquement de styles égyptien (ill. 2) et arabe. Ce constat montre que Genève suit la même trajectoire que ses voisins européens et s’inscrit dans un renouveau des arts décoratifs par l’observation et la copie de tels modèles (Varela Braga 2019, 165). Le professeur Hermann Hammann (1807-1875) est en charge de cours sur l’histoire de l’ornement jusqu’à sa mort en 1875 (JDG 1874, 3). Au fil des années, Hammann met en place son propre recueil d’ornements et rassemble des gravures et des dessins originaux pour un total de dix-huit tomes (Varela Braga 2019, 2017). Ce matériel lui sert pour ses cours. Chaque trimestre, les élèves travaillent sur de nouveaux styles. Au premier trimestre de l’année scolaire de 1869, les élèves se penchent par exemple sur une étude et une composition dans le style égyptien (JDG 1871, 3).


Ill. 3. Méril Ravoire, Chambre à manger, dessin reproduit en phototypie, dans vol. 1 (1869-1888). Bibliothèque d'art et d'archéologie, Genève. Photographie de Christelle Gaist.


Ill. 4. John Monachon, Lustres et vases, dessin reproduit en phototypie, dans vol. 1 (1869-1888). Bibliothèque d'art et d'archéologie, Genève. Photographie de Christelle Gaist.


Pour finir, les deux albums sont aussi marqués par le poids de l’historicisme. Les ouvrages présentent des objets désignés comme Renaissance, médiéval, gothique, Louis XIV, Louis XV et Louis XVI. Cet attrait pour le passé est exemplifiée dans les objets primés par les concours organisés pour les élèves. Quelques projets du premier album peuvent être rattachés à trois différents concours ayant eu lieu en 1878, 1880 et 1885. Le premier concours de 1878 est organisé par le Conseil administratif (JDG 1878, 3).



Les gagnants, Méril Ravoire et John Monachon, sont récompensés par un voyage d’étude à l’Exposition Universelle de Paris. La chambre à manger et les lustres et vases de John Monachon présents dans le premier album pourraient être les objets primés (ill. 3 et 4). En 1880, les élèves doivent réaliser un dessin décoratif pour le diplôme destiné à l’exposition d’outillage d’horlogerie.


Ill. 5. Méril Ravoire, Diplôme, dessin reproduit en phototypie, dans vol. 1 (1869-1888). Bibliothèque d'art et d'archéologie, Genève. Photographie de Christelle Gaist.


C'est le diplôme de Méril Ravoire (ill. 5) qui remporte le premier prix (JDG 1885, 3). En 1885, Méril Ravoire réalise un autre diplôme (ill. 6) pour les Écoles municipales d’art (JDG 1885, 3). Il est intéressant de constater que les objets primés ne sont pas des objets de styles oriental ou végétal, mais de styles plutôt tournés vers le passé européen.


Ill. 6. Méril Ravoire, Diplôme, dessin reproduit en phototypie, dans vol. 1 (1869-1888). Bibliothèque d'art et d'archéologie, Genève. Photographie de Christelle Gaist.


En conclusion, le contenu des deux albums révèle quelques directions prises par l’École spéciale d’art appliqué à l’industrie. Les planches présentent une très grande diversité d’objets. Dans son effort de revitalisation des industries genevoises, l’école s’aligne avec le reste de l’Europe et copie des objets de style oriental. Elle semble cependant occulter les modèles japonais alors très à la mode et rester très fidèle à la copie des modèles du passé.


Christelle Gaist



Bibliographie

Benoit-Muzy, John et Silvestre, Henri, École spéciale d’art appliqué à l’industrie : cinquante compositions, 2 vols., Genève, 1869-1888 (vol.1) et 1889-1895 (vol. 2).

JDG 1874: « Ecole spéciale d’art appliqué à l’industrie », Journal de Genève, n° 271, 17 novembre 1874, p. 3.


JDG 1878: « Faits divers », Journal de Genève, n° 101, 30 avril 1878, p.3.

JDG 1880: « Faits divers », Journal de Genève, n° 126, 29 mai 1880, p. 3.

JDG 1885: « Faits divers », Journal de Genève, n° 35, 11 février 1885. p. 3.

JDG 1900: « Nécrologie », Journal de Genève, n° 320, 22 novembre 1900, p. 3.

Ruprich-Robert, Victor, Flore ornementale, Paris, Dunod, 1869.

Sigrist, René, « The first botanical gardens in Geneva (c.1750-1830): private initiative leading science », Studies in the history of gardens & designed landscapes, 28/3, 2008, pp. 333-350.

Vachon, Marius, Rapports à M. Edmond Turquet , sous-secrétaire d’Etat sur les musées et les écoles d’art industriels et sur la situation des industries artistiques en Suisse et Prusse Rhénane, Paris, Maison Quantin, 1886.

Varela Braga, Ariane, « Détours orientaux sur les rives du Léman. Les modèles islamiques à l’Ecole des Arts Industriels de Genève », in Francine Giese, Leïla el-Wakil et Ariane Varela Braga (dir.), L'Orient en Suisse : architecture et intérieurs néo-islamiques des 19e et 20e siècles, Berlin, De Gruyter, 2019, pp. 165-183.

Varela Braga, Ariane, « Hermann Hammann: un historien des arts décoratifs à Genève », in Frédéric Heuber et Sylvain Wenger (dir.) Regards Croisés sur les Arts à Genève (1846-1896): De la Révolution radicale à l’Exposition nationale, Genève, Georg, 2019, pp. 210-218.


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