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Cabinet à montre de George Hantz

Dernière mise à jour : 22 juin 2020

Un ouvrage précieux fruit d'un travail collectif


Ill. 1. Georges Hantz, Henri Juvet, Gustave Adolphe Giger, Cabinet à poser avec montre, ébène, appliques en fonte d’argent, émail champlevé et peint, 1885, Concours Galland, 54,8 x 31,5 x 18 cm, inv. B 0013, © Musées d'art et d'histoire, Ville de Genève.


Alors qu’il allait devenir le futur directeur du Musée des arts décoratifs de Genève, Georges Hantz (1846-1920) s’est vu décerné le premier prix du concours Galland en 1885 pour la création d’un cabinet à montre en ébène (ill. 1). Ce concours annuel, en faveur des arts décoratifs, avait été institué par un grand mécène, Charles Galland, qui proposait de le financer ainsi que de récompenser le gagnant avec une bourse. Le concours avait pour but d’encourager les industries artistiques genevoises et il existe encore aujourd’hui sous l’appellation de bourse Lissignol-Chevalier et Galland. C’est lors de sa première édition que le cabinet à montre, qualifié de bonheur-du-jour, est distingué parmi les dix-huit objets présentés grâce à sa caractéristique majeure qui est d’avoir été réalisé à plusieurs. Ce petit meuble Renaissance (54,8 x 31,5 x 18 cm) orné d’une montre et d’émaux genre Limoges, qui fait désormais partie des collections d’horlogerie et d’émaillerie du Musée d’art et d’histoire de Genève, se présente alors en 1885 tel un manifeste en faveur de la collaboration entre ouvriers et artistes.


Ill. 2. Portrait de Georges Hantz (1846-1920), (La Chaux-de-Fonds, 1846 - Genève, 1920). © Archives des Musées d'art et d'histoire, Ville de Genève.


Mais avant de comprendre mieux l’objet, il faut s’attarder un peu sur son créateur. Hantz (ill. 2) est né à la Chaux-de-Fond en 1846 où son père, Isidore Hantz, a introduit un important atelier d’émaillerie et de boîtes de montres. C’est dans le canton de Neuchâtel que Hantz a fait son apprentissage et ses premiers pas dans la carrière artistiques dans un atelier pour boîte de montre. Mais à l’âge de 23 ans, en 1869, il déménage à Genève où il deviendra l’un des premiers élèves de l’École des arts appliqués. Il fonde en 1878 un petit atelier de décorateur de boîte de montres, d’où sortent de nombreuses pièces émaillés et ciselées, des coffrets à bijoux et des médailles. Hantz participe au projet de création du Musée des arts décoratifs de Genève qui est né après douze années de discussion, jusqu’à son ouverture en 1885 (Buyssens 2019, 236). Il deviendra le premier directeur de ce musée, pour lequel il va fournir d’importants efforts dans le but de le développer et d'enrichir ses collections. Il a notamment été l’un des initiateurs de la riche bibliothèque qui rend de si précieux services aux artisans d’art, aux artistes et aux intellectuels. L’un des buts initiaux de Hantz était de rendre l’accès à l’éducation et à l’art le plus simple possible. À la suite de son décès en 1920, Antoine Dufaux, l’un de ses collègues peintre-émailleur de Neuchâtel, décrit bien son ami :

« Sa constante préoccupation était de vulgariser les richesses du Musée, de les mettre à la portée de tous ; surtout à celle de l’ouvrier, de provoquer en lui le désir de s’instruire et de progresser, d’agrandir son horizon, de regarder toujours plus haut ; et c’est bien là, la mission sacrée qui est dévolue à un artiste de talent ; la connaissance de l’Art et de ses manifestions ne doit pas être réservée aux seules classes fortunées ; il s’agit également d’un rôle social à remplir et Hantz l’avait bien compris » (Album de condoléance, 1920. Archives MAHGE).

Le but de Hantz était donc de favoriser l’accès et l’éducation à l’art, et surtout de permettre des échanges et des alliances entre art et industrie, ce qu’il accomplit parfaitement avec la création de son petit cabinet à montre en ébène.


Les caractéristiques de ce meuble sont multiples et très représentatives des arts décoratifs de l’époque. Tout d’abord, le matériel principal est l’ébène, un bois foncé particulièrement prisé pour les compositions en style néo-Renaissance chez les ébénistes à la fin du dix-neuvième siècle, qui sont par ailleurs fascinés par la construction très architecturale du mobilier Renaissance. Les cabinets et les meubles à deux corps sont alors prétextes à des superpositions complexes et à une riche iconographie qui conviennent parfaitement à une alliance entre différents corps de métiers. Deuxièmement, l’une des techniques utilisées, l’émail champlevé et peint, est non seulement prisée par les orfèvres, mais également par les horlogers pour la décoration de boîtes et de cadrans de montre. La robustesse, la vivacité et la luminosité de l’émail contribue à lui donner un aspect précieux très apprécié pour ce genre d’objets. On constate un renouveau de l’émaillerie genevoise dès la fin du dix-neuvième siècle grâce à cette technique de l’émail champelevé et peint, liée à l’intérêt pour les arts décoratifs du Moyen Age et de la Renaissance, qui est promue notamment à travers les Manufactures de Sèvres et de Limoges. L’emploi de cette technique a donc favorisé les collaborations entre horlogers et émailleurs, ce qui nous ramène à cette idée, chère à Hantz, d’alliance entre les différents corps de métiers artistiques.


Cette collaboration entre ouvriers et artistes est certainement l’aspect le plus fondamental de ce cabinet. En effet, lorsque Hantz signe le cabinet en 1885, il revendique fièrement avoir travaillé avec environ 28 collaborateurs sur cet objet, dont l’architecte Henri Juvet (1854-1905) et l’ébéniste Gustave Adolphe Giger (Buyssens 2019, 246). Hantz est convaincu que les collaborations entre différents corps de métiers sont vivement souhaitables ; une idée qui se développe en Europe, comme il l’observe à travers l’exemple de Munich et de son Kunstgewerbeverein, fondé en 1851.

Cette association des arts appliqués (gravure ciselure en tout genre, émaillerie et peinture sur émail, bijouterie et joaillerie) devient l’essence même de ce meuble qui démontre alors le pouvoir de l’alliance de l’art et de l’industrie dans un chef-d’œuvre mis au service de l’horlogerie. Grâce à cette promotion de l’ensemble des industries exercées à Genève, ce cabinet se distinguera et deviendra ainsi une pièce marquante de la production genevoise de l’époque.


Anne Vernain



Bibliographie


Buyssens, Danielle, « Musées et vie artistique à Genève, de la Restauration à la fin des années 1820 », in Irène Herrmann (dir.), Quand le monde a changé... L'entrée de Genève dans la Confédération helvétique, Genève, Georg, 2016, pp. 283-325.

Buyssens, Danielle, « Voir ce qui se fait ailleurs. Les premières années du Musée des arts décoratifs de Genève », in Frédéric Hueber et Sylvain Wenger (dir.), Regards Croisés sur les Arts à Genève (1846-1896): De la Révolution radicale à l’Exposition nationale, Genève, Georg, 2019, pp. 237-265.

Fallet, Estelle, « Les arts, appliqués à l’horlogerie : un contexte genevois singulier », Genava : revue d’histoire de l’art et d’archéologie, 2015, pp. 51-58.


Fallet, Estelle, « Qui était Jules Georges Hantz ? Portrait du directeur du Musée des Arts décoratifs de Genève de 1885 à 1920 », le blog du MAH, 2017 [en ligne] (consulté le 2/05/2020).

n.a. Album de condoléances, avril 1920 (Archives Musée d’art et d’histoire, domaine Arts appliqués).

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